Les voies du Graal (1)

Le roi Arthur et ses chevaliers assistent à l'apparition du Graal, 
après vêpres en ce jour de pentecôte

"Si furent mises en escrit et gardees en l'almiere de Salesbieres, dont mestre GAUTIER MAP les trest a fere del Seint Graal por l'amor del roi Henri son seignor, qui fist l'estoire tranlater de latin en francois."

"Elles furent (les aventures des chevaliers du Graal) ainsi mises par écrit et conservées dans la bibliothèque de Salesbières, d'où maître Gautier Map les tira. Il en fit son livre du Saint Graal pour l'amour du roi Henri, son seigneur, qui fit traduire l'histoire du latin en français."

Ainsi s'achève "La quête du Saint-Graal" (1) qui après "le conte du Graal" de Chrétien de Troyes (écrit vers 1182-83) reprendra la recherche semblant inachevée du mystérieux objet observé par Perceval et l'ensemble des chevaliers de la table ronde.
"La quête du Saint-Graal" est une oeuvre déclarée anonyme mais sa fin en nomme pourtant clairement au moins le rapporteur : Gautier Map.
Ce même Gautier Map qui écrivit le poème qui autrefois accueillait les visiteurs de Notre Dame de Marceille (
voir ici), fut donc peut-être le respectable conteur à qui fut confié par les héros eux-mêmes la tache de faire passer à la postérité la noble histoire des chevaliers du Graal.
Mais à ce propos, aucun historien n'est d'accord, malgré le texte. Beaucoup considèrent aujourd'hui que ce roman n'est qu'une collection de récits rassemblés autour du thème commun de la quête du Graal, que leur auteur a pu, en fait, n'être qu'un collège d'écrivains et que cette attribution à Gautier Map est plus que douteuse... Personne ne les départagera car il ne nous reste rien des documents originaux.

"The Achievement of the Grail" (1891) Edward Burne-Jones 

Seul Galaad, le preux chevalier, l'élu, fils de Lancelot (qui se nommait déjà Galaad) parviendra à atteindre le mystérieux Graal. Il accomplira "The achievement of the Grail" en une formulation qui n'est pas sans rappeler la fin de la célèbre sentence : "..j'achève ce daemon de gardien à midi. Pommes bleues". Et nous allons comprendre combien les pommes sont importantes dans la mythologie celtique. Mais avant cela, il est très troublant aussi de voir à quel point Galaad peut-être intimement lié à une autre figure hautement porteuse de sens de notre énigme : Marie-Madeleine.
Dans le "Roman de Lancelot", on apprend les circonstances de la procréation de Galaad. Lancelot arrive à Corbénic, le 22 juillet, fête de saint Madeleine. Là, il sauve une jeune femme dont la moitié basse du corps est plongée dans un baquet d'eau chaude et étrangement se retrouve ensuite dans un cimetière. Soulevant une dalle, il est confronté à un énorme serpent qu'il tue, puis est survolé par une colombe. Il entre enfin au château de Casse où, victime d'une boisson hallucinogène, il engendre avec la fille du roi pêcheur, le futur Galaad croyant se retrouver dans les bras de Guenièvre.

Ces références à une dame au baquet ne sont pas sans nous remémorer une autre dame fort connue au Moyen-âge (et bien avant encore sous divers noms: Mélugina, Milouziena...) et souvent représentée le corps plongé dans un baquet : Mélusine. Elle même génitrice selon la légende de la famille royale des Lusignan.
Mélusine fut fille d'Hélinas, roi d'Albanie et de la fée Pressine. Elle avait deux sœurs : Mélior et Palestine. Mais par malheur, Elinas ne tint pas la promesse faite à Pressine de ne jamais violer l'intimité de "ses dames" qui s'enfuirent sur l'île magique d'Avalon.
En voulant se venger de leur père qu'elles réussirent à enfermer, les trois sœurs déclenchèrent la colère de Pressine qui punit Mélusine en la transformant tous les samedis en fée-serpente, Mélior en la condamnant  à veiller sur un épervier en Arménie, et Palestine, en l'enfermant dans le mont Canigou avec le trésor de son père jusqu'à ce qu'un chevalier la délivre.
Raymondin de Lusignan épousera Mélusine, la femme-sirène rencontrée aux abord d'une fontaine et ils eurent beaucoup d'enfants (10 dont 2 seulement étaient à peu près normaux !)

Mélusine par Guillebert de Mets (1410)

Cette légende universelle eut beaucoup de succès au point que nombre de familles se voulurent descendantes de Mélusine, la sirène. Mais on doit à Jehan d'Arras, d'avoir immortalisé ces diverses histoires dans son roman "La Noble histoire de lusignan" qu'il écrivit en 1392-1393 pour la duchesse de Bar et à la demande de son frère Jean de Berry. Patrick Ferté (2) a retrouvé au sein de la cour entourant le duc de Berry : Simon de Cramaud, futur administrateur de l'évêché de Carcassonne (de 1391 à 1409), et démontré surtout que le duc fut le protecteur de la Reine Blanche.

Cette Reine Blanche de Bourbon, nièce du Roi de France, cousine des d'Aniort épousa le roi de Castille Pierre I le cruel (1334-1369) qui la délaissa puis la séquestra. Blanche s'évade alors pour se réfugier, sous la protection de Jean de Berry, commandant en Languedoc et de Pierre de Voisins, dans le Razès. 
Louis Fédié, collègue de l'abbé Boudet à la Société des Études Scientifiques de l'Aude (SESA) confirme d'ailleurs tout cela. Atteinte de la lèpre, elle se rendit aux bains de Montferrand où on constata sa guérison miraculeuse. C'est à elle que l'on doit les appellations de Source et Bains de la Reine. 
Or, fort étrangement, le château de Casse dans lequel Lancelot conçut Galaad doit son nom au mot "casse" signifiant autrefois lépreux (3).

Ainsi, nous retrouvons les thèmes suivants : Casse-lèpre, Reine et bains dans une histoire commandée par un homme qui fut à plus d'un titre très proche de la Reine Blanche. 
Reine sirène, règne à Rennes ??

Pierre I dit le cruel

Mais après avoir compris qu'il avait été trompé, Lancelot veut punir la fille du roi Pêcheur qui s'écrie :
"Ah, noble chevalier, ne me tuez-pas ! Ayez pitié de moi comme Dieu eut pitié de Marie-Madeleine !"
Voilà, un cri bien étrange qui nous rappelle la dernière strophe del Desdichado, le superbe poème de  Gérard de Nerval, qui se prétendait descendant de la famille des Lusignan : 

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée

Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Ce dernier vers associe bien la sainte qui traditionnellement soupire de mélancolie : Marie-Madeleine et la fée séductrice, étrange femme poisson du valeureux Lancelot. L'occasion de s'interroger aussi sur l'étymologie controversée du mot Magadala que d'aucuns veulent associer au poisson. Femme pécheresse, femme impure, l'union de cette fille du roi Pêcheur et de Lancelot n'engendrera pas moins Galaad, parangon de vaillance et de pureté virginale.

Mais qu'a donc bien pu pardonner Dieu à Marie Madeleine ? Sa vie de pécheresse ? Selon Luc, le Christ l'a délivra de sept démons mais rien n'indique qu'elle fut une femme impure. Pourquoi cette fille de roi évoque t-elle en référence au pardon de Dieu, Marie Madeleine au moment précis où elle vient de se jouer de Lancelot et de procréer Galaad ?

Christian Attard

Notes et sources :
(1) - La Quête du Graal - Édition Points - Sagesse
(2) - Patrick Ferté :Arsène Lupin, supérieur inconnu -Guy Trédaniel-1992
(3) - voir C. Fabre-Vassas - La bête singulière. Gallimard 1994
Voir surtout : Galaad, le pommier et le Graal de Philippe Walter chez Imago-2004

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