La
Richesse du cœur
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L'église
St André, les ruines de la cathédrale et le séminaire d'Alet |
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Les
faibles allégations en faveur de "l'éclatante richesse" (issue d'un
hypothétique trésor) de monseigneur Pavillon sont :
- le don d'un diamant
que quatre historiens et non des moindres expliquent parfaitement (voir
ici)
- des travaux aussi innombrables qu'improbables. (voir
ici) Je
vais donc, comme promis reprendre point par point chacune de ces
affirmations qui doivent je pense, trouver leur source dans ce court
texte de Louis Fédié (1) :
"Enfin, en
1637, le siège épiscopal fut confié à Mgr Nicolas Pavillon, le saint
évêque dont la mémoire, après plus de deux siècles, s’est conservée
avec les sentiments de profonde vénération dans la contrée. Sous sa
paternelle administration, la ville d’Alet sembla, pour ainsi dire,
renaître de ses cendres.
Il fit réparer l’église de Saint-André
qui devint la cathédrale.
Il fit construire le nouveau palais épiscopal.
Il dota Alet du magnifique canal d’irrigation et d’alimentation
qui
amène à la ville les eaux du Théron, après avoir arrosé les jardins
potagers qui couvrent toute la petite plaine. Enfin, c’est à Mgr
Pavillon que l’on doit
le bassin de captation de la source thermale
appelée les Eaux-Chaudes, aujourd’hui détruit en partie et qui sert
de lavoir public.
Mais là ne se bornent pas les œuvres du pieux prélat.
Il siégeait à titre de comte, titre attaché à la dignité épiscopale
d’Alet, aux Etats de la province, et il défendait avec soin les intérêts
de son diocèse. Appelé à présider souvent, en l’absence du
commissaire royal, l’Assiette du diocèse, il donna une vigoureuse
impulsion aux travaux publics.
C’est à lui, notamment, que l’on
doit la construction du chemin d’Alet à Quillan par Espéraza qui,
entre autres travaux d’art, comptait le pont sur l’Aude à Couiza.
Le pieux prélat qui, pendant sa longue carrière, donna tant de marques
de sollicitude aux habitants de son diocèse, semble encore les protéger
et les bénir après sa mort, car il repose au milieu de ses anciens
administrés, et on vénère encore de nos jours son tombeau qui est
placé au milieu du cimetière de la ville dont il fut si longtemps le
pasteur."
Cependant nous allons
voir que nos historiens locaux se détachent parfois de la vérité pour
alimenter eux aussi la légende ! Mais pour l'heure reprenons la liste
donnée sur le forum cité plus haut : |
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1 - Le percement
de la route de Limoux à Quillan
Claude Lancelot qui rendit
visite en 1667 à Mgr Pavillon (2), outre le fait qu'il décrit un pont
"tout neuf", nous parle des deux chemins qui permettent de
rejoindre Alet en venant de Limoux. Le premier, le plus antique, longe
la rive droite de l'Aude et permet le passage de piétons prudents et de
bêtes de somme. Son étroitesse manqua coûter la vie à Nicolas
Pavillon qui marqua le lieu où il faillit périr d'une croix. L'autre,
moins élevé permet le long de la rive gauche le passage de charrette
et rejoint, dit-il, le nouveau pont.
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Carte du
diocèse d'Alet en 1781
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A ce propos, revenons sur ce fameux pont !
A Alet furent signalés à travers les temps au moins trois ponts. A
l'arrivée de Nicolas Pavillon nous savons qu'un seul subsiste et c'est
une mauvaise passerelle. L'Aude fut parfois impitoyable pour le travail fragile des hommes et la
session des États de Languedoc de 1654-1655 décident de vérifier
l'état de ce pont d'Alet, ébranlé par les intempéries. Aussi, lors de
sa session de 1658, on ne parle plus de réparations mais de
construction ! Un contrat est passé par les mandataires des États pour la somme de 24 000 livres
payables en 4 termes égaux de 6 mois en 6 mois. (3)
En 1662, le nouveau pont est pratiquement achevé mais l'assemblée des États
refuse un complément financier pour finir les travaux renvoyant pour
financer cet achèvement au diocèse d'Alet. Contrairement à ce qui a
été péroré sur la construction de ce pont, ce n'est donc pas Nicolas
Pavillon qui l'a financé.
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Quant au
chemin difficile qui reliait Limoux à Quillan sous Pavillon, il ne peut
en rien être assimilé à un percement de route.
En effet, la
réalisation d'une voie carrossable attendit d'autres nécessités et
d'autres financements que ceux prêtés, à tort, à Nicolas Pavillon.
Le 7 novembre 1659 est signé entre la France et l'Espagne le traité
dit des Pyrénées. Selon ses articles 42 à 60, la France
annexe le comté de Roussillon, les
pays de Vallespir, de Conflent et de Capcir et les bourgs et villages de
l'est du comté de Cerdagne.
En 1679, Louis XIV et son ministre Louvois
décident sur recommandation de Vauban la construction de la forteresse
de Montlouis. Dès janvier 1680, l'assemblée des États de Languedoc
donne pouvoir à ses syndics pour emprunter jusqu'à 60 000 livres pour
financer les travaux de mise en états des chemins et ponts qui
permettront aux troupes de rallier les nouvelles frontières du royaume. En
septembre, on met donc en adjudication les travaux des chemins. A Alet
fin 1683, ils sont pratiquement terminés. Rappelons que Nicolas
Pavillon est mort depuis décembre 1677 !!
Le pont de Couiza pour finir avec lui existait depuis le Moyen-age
souvent remis en état, c'était le plus souvent les communautés de
Montazels et de Couiza qui subvenaient aux dépenses.
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Plaque
de l'église St André d'Alet |
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En 1654,
donc sous Nicolas Pavillon, le
diocèse demande pour réaliser les travaux encore nécessaires, l'aide
de la Sénéchaussée et de la Province. Ce pont ne fut consolidé
sérieusement et en pierre de taille qu'en 1681-82, encore une fois après
la mort de Mgr Pavillon !!
En réalité le véritable initiateur des travaux modernes de voiries
fut Mgr de Chanterac, surnommé pour cela : l'évêque des chemins;
C'est lui qui sacrifia une partie du chœur de l'antique Cathédrale
détruite pour tracer l'actuelle rue Pavillon, dirigea les travaux
routiers vers Couiza, mais là encore non sans
l'aide des États et le recours aux emprunts autorisés. |
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Cette
croix érigée par Mgr Pavillon en souvenir d'une chute qui aurait pu lui
être fatale, se trouve sur la rive droite de l'Aude, au-dessous de la
ligne de chemin de fer.
On avait gravé au-dessous de la croix d'origine l'inscription : "Impulsus
eversus sum, ut caderem et Dominus suscepit me". "Tu me poussais
pour me faire tomber ; Mais l'éternel m'a secouru". Issue du Psaume
118-13. Un psaume que Fouquet en prison eut le temps dit-on de méditer,
lui qui ne fut point secouru.
Ce sont les paroles mêmes que prononça le prélat après s'être
relevé.
Le 9 mai 1877, troisième jour des rogations, la nouvelle croix que
nous voyons ici et qui remplaça l'ancienne lors de la réalisation de la
ligne de chemin de fer, fut bénite par Le curé Lasserre, assisté de M.
J.B. Danguien, son vicaire.
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Croix de
'l'impultus" près d'Alet
(photo François Pous)
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La
ville d'Alet aujourd'hui, sa superficie n'a guère évolué depuis le
XVIIème siècle |
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2
- La construction d’un extraordinaire réseau de canaux d’irrigation
dans sa ville
Cela est
certainement vrai ! Quant
au terme "extraordinaire", il est à pondérer
lorsque l'on sait les dimensions extrêmement modestes de la ville d'Alet.
Comme nous le rappellent deux religieux bénédictins en visite en 1717:
la ville est "très peu de chose" . (4) |
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A
la mesure de ce bourg, réseaux d'irrigation et lavoir ne sont guère
impressionnants. Et Alet, point de jonction d'au moins cinq sources à
l'époque, n'a pas du investir de lourdes sommes pour être abondamment
pourvu en eaux. |
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3
- La construction du palais épiscopal
Élevée au rang
d'évêché en 1318, c'est tout d'abord l'abbaye d'Alet qui devint par
moitié "palais épiscopal". Pillé et en partie détruit par les
huguenots en 1577, sa restauration commença très certainement assez
tôt.
Cette remise en état, de toutes manières s'étala sur de longues années et Mgr Miellan
(évêque de 1684 à 1699) puis surtout Mgr Charles de la Cropte de
Chanterac (évêque de 1763 à 1793) transformèrent la bâtisse que
nous pouvons encore admirer aujourd'hui et qui ne ressemble plus, ou très
peu, à celle que devait connaître Nicolas Pavillon.
Toutes les descriptions données par ses nombreux visiteurs concordent
pour décrire à son époque un lieu pauvrement décorés, peu chauffé
et où la nourriture est restreinte. Seules les écuries répondant aux
incessants déplacements de l'évêque semblaient correctement
constituées. |
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4
- La fin de la construction de la cathédrale St-André
La construction
de l'église remonte au début du XVème siècle et fut l'œuvre
de l'abbé Barthélémy de l' abbaye bénédictine Sainte-Marie, premier
évêque d'Alet, les clefs de voûtes reprenant les blasons de
Guillaume d'Alzonne (évêque de 1333 à 1355) et de Guillaume de
Florence (évêque de 1355-1360) permettent de dater les constructions
de ces deux chapelles attenantes au chœur
avec une assez bonne précision.
Dans la nef : La première chapelle nord fut
construite au 19e siècle, la deuxième érigée au 17e siècle, sous l' épiscopat de
Nicolas Pavillon. la 3e chapelle porte les
armes de Guillaume de Rochefort (1489-1508). (5)
La notice de l'église distribuée par l'office du tourisme précise
clairement le travail de restauration de Nicolas Pavillon : le pavage,
la toiture, la tour de la cloche construite par Guillaume d'Alzonne et
la chapelle sus-mentionnée. Il n'est aucunement fait mention de travaux
de "fin de construction" dans aucune des sources à ma
disposition. Après trois siècles, on suppose en effet que l'édifice
devait avoir besoin de quelques réparations, ce que fit sans plus
Nicolas Pavillon.
Il le fallait nécessairement car il avait refusé toute remise en état
de la cathédrale ruinée par les Huguenots, ce qui à son époque
était encore raisonnablement possible, arguant qu'il valait mieux
utiliser l'argent disponible au secours des pauvres.
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5
- L’agrandissement de l’hôpital
L'hostel-Dieu
sous Nicolas Pavillon et plus tard hôpital d'Alet date dans sa plus
grande partie du XVIème
siècle. Plusieurs documents en font mention avant 1600 donnant avec
précision son adresse et les bâtiments qui le compose. Nicolas Pavillon édifia
seulement pour ce lieu une aile datant de 1656 et une nouvelle porte avec
une croix sur laquelle est inscrite la date de 1663.
Et là encore, les lieux restent fort modestes.
Des relevés de
compte de cet établissement pour l'année 1660 montre des recettes de
416 livres pour des dépenses de 430 livres. Comparées aux recettes de
l'hôpital quelques années après la mort du saint prélat, on se rend
vite compte que ces recettes sont très faibles, près d'un tiers seulement
de ce qu'elles furent sous d'autres administrations !
Ces recettes provenaient essentiellement de quêtes sous la
responsabilité de M. Fromilhague. Joseph Lasserre nous indique en outre
que Nicolas Pavillon demanda à son frère d'abandonner 40 000 écus de
sa part d'héritage pour en faire don aux pauvres de son diocèse.
Là encore, c'est bien Mgr de Chanterac qui consolida l'administration
déficiente des hôpitaux de St Paul et de Quillan et fut à juste titre
appelé le père des pauvres. |
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6
- La construction d’un séminaire, d’une dizaine de maisons
de Régentes
Il suffit de se balader à
pied dans les vieilles ruelles d'Alet, de lire la notice obligeamment
donnée par l'Office du Tourisme pour comprendre que là encore Mgr
Pavillon ne construisit absolument rien de tout cela !
La grande majorité des maisons
du village datant du XIVème, XVème siècle. Et pour finir de s'en
convaincre Joseph Lasserre (6), mais il n'est pas le seul, nous indique que le
corps de maisons constituant le grand séminaire d'Alet fut acheté en
plusieurs fois, d'abord en 1648 pour 580 livres, puis pour 1000 livres.
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Les
paragraphes suivant nous expliquent que plusieurs donateurs (dont M. de
Pradines qui dès 1668 donnait pouvoir à Mgr Pavillon de disposer à sa
mort de ses biens (bénéfices et pensions, car il était Archidiacre).Mgr
pavillon pouvait en faire l'application qu'il voudrait, ils financèrent ses acquisitions
immobilières.
Alet possédait une école depuis 1540 dans une maison donnée à cette
usage par les consuls de la ville, ce fut en ce lieu que les régentes,
instituées par Nicolas pavillon, enseignèrent ou vinrent se reposer.
La
maison des régentes fut acquise elle, vers 1700, donc encore une fois,
après la mort de Nicolas Pavillon et avec l'aide de Mgr Taffoureau.
C'est
aussi Mgr Taffoureau qui fit bâtir le petit séminaire que l'on peut
encore voir à Alet, comme nous le précise son très beau portrait,
offert à Joseph Lasserre en 1883.
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En conclusion, il nous faut
raisonnablement admettre que Nicolas Pavillon fut bien loin d'être le
constructeur que d'aucuns ont voulu voir en ce pauvre prélat. Et en tout
cas, sûrement pas le plus grand bâtisseur des 35 évêques d'Alet. A
cette aune, c'est sans conteste, Mgr de Chanterac qui doit obtenir ce
titre.
La plupart des bâtisses qui servirent à l' époque de Mgr Pavillon soit d'hospice, soit
d'écoles ou de séminaires existaient déjà et ne furent qu'achetées
assez tardivement et souvent avec l'aide de donations.
L'infrastructure
routière était pauvre, en piteux état comme l'indiquent les récits des
déplacements difficiles des visiteurs du diocèse. Il fallut attendre les
grands travaux initiés par Vauban pour son "chemin des canons" pour
circuler avec un peu plus de confort de Limoux à Quillan.
La pauvreté de
sa table, de sa mise, de ses locaux, le fait qu'il n'ait pas, et en contradiction
avec les recommandations du concile de Trente, relevé les ruines de la
Cathédrale en disent assez sur le peu de moyens dont disposait Nicolas
Pavillon.
L'essentiel de ses moyens allant de toutes manières toujours
aux plus démunis.
Christian Attard
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Notes
et sources :
1- Louis Fédié - Le comté de Razès et
le diocèse d'Alet - Notices historiques
Lajoux
Frères. Carcassonne 1880
2- Claude Lancelot - Relation d'un voyage d'Alet, faite par M. Claude
Lancelot... 1667
3- Henri Castel - Le chemin de Mont-Louis.
dans le Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude
N°89 - 1989
M. Castel a construit un remarquable travail basé sur les procès
verbaux des États du Languedoc et des assemblées de l'Assiette du
diocèse d'Alet.
4- Voyage littéraire de deux religieux bénédictions de la congrégation
de Saint-Maur- Paris 1717 page 52
5- Gratien
Leblanc - L'église Saint-André d'Alet, dans Congrès archéologique
de France. 1973. Pays de l'Aude, p. 304-316.
6- J.T. Lasserre "Recherches historiques sur la ville
d'Alet et son ancien diocèse". Carcassonne 1877 |
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