François Fouquet et Notre Dame de Marceille

Rappelons que plusieurs chercheurs pensent aujourd'hui que François Fouquet, frère aîné de Nicolas Fouquet, surintendant des finances, fut mis au courant de la présence d'un trésor dans le Razès par un autre frère : Louis, informé lui-même par le peintre Nicolas Poussin.
Ce trésor, Nicolas Pavillon, évêque d'Alet l'aurait fait transférer sous Notre Dame de Marceille où les Fouquet y puiseront dans un premier temps pour arrondir les finances familiales et construire Vaux-le-Vicomte, puis à l'arrestation du surintendant, grossir les caisses de Louis XIV et ainsi maintenir le prisonnier royal en vie ! 
A ces sombres desseins, François se serait fait nommer évêque de Narbonne pour être au plus près de Limoux et de Notre Dame de Marceille, ville sous la juridiction spirituelle de l'évêché narbonnais..
Ce scénario se heurte pourtant à de nombreuses invraisemblances.

François Fouquet, Archevêque de Narbonne

Louis Fouquet séjourne à Rome en 1655-1656. Il est alors abbé de Saint-Martin d'Autun, du Jard, de Ham, de Sorèze et de Vézelay.  Au cours de son séjour romain, son frère Nicolas le charge de collecter diverses oeuvres d'art, aidé en cela par Nicolas Poussin, généreusement rémunéré.
Le 17 avril 1656
, Louis adresse à son frère Nicolas une lettre dans laquelle il évoque "des avantages" que M. Poussin pourrait lui procurer...

Si Nicolas Fouquet achète le domaine de Vaux avant son accession à la surintendance, alors qu'il n'est que jeune maître des requêtes en 1641, le devis des transformations et embellissements présenté par Louis Le Vau, assisté de l'entrepreneur Villedo, est accepté le 2 avril 1656 (pour 600 000 livres pour le château et 257 000 livres pour les communs).(1) 
On peut donc raisonnablement supposer que tous les plans et prix furent pensés bien avant. Il est bon aussi de se rappeler qu'à l'époque une lettre, un voyageur ne mettaient pas deux jours pour arriver de Rome à Paris.
Voilà qui écarte définitivement une décision de travaux et donc de fortes dépenses prise à la suite de la révélation de Nicolas Poussin.

Notre Dame de Marceille - CPA Solaire Photo - Bordeaux

D'autre part, il aurait été nécessaire que François Fouquet puisse mettre en place son circuit de remontée d'un hypothétique trésor audois bien avant 1656 et pour cela s'assurer de la possession de Notre Dame de Marceille ou pénétrer dans les terres de l'évêché d'Alet.

Or, cette fois, c'est l'abbé Joseph-Théodore Lasserre qui nous renseigne dans son " Histoire de Notre Dame de Marceille" publiée en 1891.(2) 
S'il est exact que François Fouquet est le coadjuteur de l'évêché de Narbonne dès le 8 décembre 1656, ce n'est qu'en 1659, alors qu'il accède pleinement à sa charge d'archevêque, qu'il achète un terrain proche de l'église... mais du côté Nord. Donc trois ans après la fameuse lettre de Poussin supposée avoir révélé un trésor du côté de Rennes-les-Bains. Cette même année 1659, le 25 juin Mazarin est invité à visiter Vaux, le 14 juillet, c'est le Roi et sa mère qui sont de la visite.

Un an plus tard, François Fouquet précise ses intentions à propos de Notre-Dame de Marceille, très proche de Saint-Vincent de Paul et membre actif de la dévote compagnie du Saint-sacrement (3), il a le désir d'y bâtir un centre de missionnaires qui manque pour le Bas-Razès. 
 
Un acte épiscopal daté du 19 avril 1660 (soit 4 ans après la lettre évoquant Poussin) nous donne les motivations de l'archevêque : 

"../.. perfectionner et instruire les prêtres de la ville de Limoux et du Razès trop éloignés de la capitale du diocèse. Ayant cherché un lieu convenable pour l'instruction des dits prêtres et former des missionnaires, il fut trouvé que Marceille, à cause de sa situation, de ses édifices et de la dévotion des fidèles qui l'ont rendue fameuse et illustre depuis longtemps remplirait ce but".

Il faut aussi comprendre que Nicolas Pavillon à moins d'une dizaine de kilomètres de Limoux forme ses propres missionnaires avec une ligne de conduite certes d'une stricte rectitude mais qui ne correspond plus à l'esprit de la Compagnie du Saint-Sacrement. François Fouquet cherche donc aussi à pondérer certains "extrémismes".

Fort bien, mais là où le bas blesse, c'est qu'en 1660, l'administration temporelle du sanctuaire n'appartient pas à Mgr François Fouquet et donc à l'évêché de Narbonne, nous apprend l'abbé Lasserre, mais aux consuls de la ville de Limoux toute proche et ce depuis fort longtemps ! 

Cet état de fait ne se déroula d'ailleurs pas sans procès en 1551 et en 1645, mais les consuls avaient le privilège d'élire ouvriers, procureurs, bassiniers de l'œuvre, ermites, et prêtres nécessaires pour recevoir les offrandes des pèlerins à charge d'une redevance annuelle de 6 livres à solder au principal du collège des Doctrinaires de Narbonne à Paris pour l'éducation des étudiants du diocèse.
Ce n'est qu'en 1662 (donc après l'arrestation de Nicolas Fouquet en septembre 1661 et l'exil à Vezelay de François Fouquet) que par délibération, les consuls, autorisés par les habitants de Limoux cédèrent l'église et toute son administration à l'Archevêque. 
C'est alors que commence la construction du bâtiment pour les missionnaires. Ces derniers devaient être issus d'une congrégation nouvelle : les frères de la doctrine chrétienne fondée en 1592 par César de Bus, nous apprend Gilles Semenou. (4) Mais il n'exerceront jamais dans le Notre-Dame de Marceille sous responsabilité de Mgr Fouquet.

On comprend donc qu'il y a impossibilité juridique et administrative à disposer avant 1662 du sanctuaire pour la famille Fouquet et encore plus de cryptes qui ne purent être constituées avant cette date car les consuls seuls avaient pouvoirs sur les lieux.

D'autre part, la carrière de François Fouquet fut parfaitement menée, non sans calcul mais dans la plus grande piété, il n'aurait pu faire illusion au sein de la compagnie du Saint-sacrement, remettre au pas les prêtres impies, sans une dévotion réelle. 
Nommé pour succéder à Raymond de la Montagne à l'évêché de Bayonne qui dépendait alors de l'Archevêché d'Auch en mars 1637 (alors que Nicolas Pavillon vient de se voir nommer évêque d'Alet), il est ensuite transféré à Agde, où le 20 septembre 1658, il céda sa place à son frère Louis et enfin à Narbonne où il accède à la fonction d'Archevêque en remplacement de Monseigneur de Rebé, membre de la Cie du St Sacrement comme lui. 

La province de Narbonne n' a rien à envier à une autre province de France. Comprenant les diocèses de Narbonne, Carcassonne, Béziers, Nîmes, Montpellier, Lodève, Usès, Saint-Pons, Alet, Alès, et Perpignan, c'est une riche province et la charge de l'archevêque dégage d'énormes bénéfices.  
Président des états généraux du Languedoc, l'archevêque de Narbonne avait ainsi un poids considérable. 
Laissant le petit évêché d'Agde (26 paroisses, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il rapportait moins qu'un autre évêché) à son frère Louis, François réussit là un fort beau plan de carrière.
Lorsqu'en plein exil, il remettra en question cette montée au plus haut pouvoir, soumis au doute, Nicolas Pavillon ne manquera pas de l'interroger à propos de sa probité religieuse car on savait qu'il avait joué sur quelques échanges de bénéfices pour arriver à ces charges. Et en cela, il se trompait si peu !  
Un certain Dupuis, homme d'affaire efficace et fort riche, installé à Cornanel (aujourd'hui Cournanel) sur le diocèse d'Aler fut un des leviers sur lesquels s'appuya Nicolas Fouquet pour faire accepter, dit-on à Mgr Rebé son frère François comme Coadjuteur. Ce même Dupuis qui se signalera par son oppositions violente à Nicolas Pavillon et finira par lui rendre raison. (5)

Cour intérieure de l'évêché de Narbonne

Si les rapports de Nicolas Pavillon et de François Fouquet furent au début assez houleux, on doit à Nicolas Fouquet que rencontra Pavillon à Toulouse où il était en visite avec la cour en 1659, le soin de réconcilier les deux prélats. Leur brouille tenait essentiellement à une affaire d'assiette fiscale l'un (Pavillon) désirant séparer Alet et son diocèse de Limoux, l'autre (Fouquet) désirant l'y maintenir car ce découpage lui était financièrement plus avantageux. C'est Nicolas Fouquet qui donc résolut la dispute en incitant son frère à accepter la séparation fiscale (5).

Les frères Foreau, ecclésiastique qui visitèrent le diocèse d'Alet en 1666, nous apprennent la très grande estime en laquelle François Fouquet tint très vite Nicolas Pavillon. L'archevêque de Narbonne allant jusqu'à louer une maison jouxtant l'évêché pour passer quelques temps à Alet. (6). Lors de la disgrâce du surintendant et de sa famille, François Fouquet écrivit à Nicolas Pavillon plusieurs lettres extrêmement touchantes où il lui demande de prier pour son salut, acceptant comme une grâce du Seigneur l'exil où il est condamné, source de pénitences et de transformations intérieures.
En 1664, après avoir donné raison à Nicolas Pavillon lors d'un procès entre officiers de leurs diocèses respectifs, il lui demande de l'aider à choisir de meilleurs responsables. S'écartant ouvertement des mouvements de la cour, il lui réaffirme sa confiance et sa considération, ce qu'il ne manqua pas de faire jusqu'à sa mort.
Ces lettres n'étaient certes pas destinées à être diffusées ou divulguées au monde, elles ne le furent qu'après le décès de leur auteur, on comprendrait mal dès lors dans l'hypothèse d'un échange matériel secret, un échange spirituel si confiant, admiratif et intime entre deux hommes que tout au contraire aurait du opposer.

Christian Attard

Notes et sources :

(1) - Michel le Moël, conservateur en chef des Archives nationales. Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990, p. 1571-1572
(2) - Joseph-Théodore Lasserre  " Histoire de Notre Dame de Marceille" Éditions Bélisane. p. 51
(3) - lire à ce propos "les annales de la Compagnie du Saint-Sacrement" du Comte René de Voyer d'Argenson. p.181, 219 Éditions de l'Oratoire. Marseille.
(4) -  Gilles Semenou - Notre Dame de Marceille - Carcassonne1992. p.14
(5) - Vie de M. Pavillon, Evêque d'Alet par Charles-Hugues Lefèbvre de St Marc et Antoine de la Chassagne - 1738. voir le chapître concernant les rapports des Fouquet avec Nicolas Pavillon.
(6) - Relation d'un voyage fait à Pamiers et à Alet par deux ecclésiastiques. Édition Pomies Foix 1913
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