La vérité et le puits





Gravure de Reynié et Certain avant 1837

Carte postale du sanctuaire vers 1910




Il existait autrefois, au cœur même du sanctuaire de Notre-Dame de Marceille, un puits dont la présence insolite en un tel lieux attirait bien des commentaires. 
Le plus célèbre fut rédigé en 1922 et publié en 1926 (1). Ainsi, le mystérieux Fulcanelli écrivait  : 

"Il existe encore aujourd'hui, à l'intérieur de la basilique ogivale de Notre-Dame de Lépine (Marne) un puits miraculeux, dits Puits de la Sainte-Vierge, et au milieu du chœur de Notre-Dame de Limoux (Aude), un puits analogue dont l'eau guérit, dit-on, toutes les maladies; il porte cette inscription :



"Omnis qui bibit hanc aquam, si fidem addit, salvus erit." 
Quiconque boit cette eau, s'il y joint la foi, sera bien portant.




Cette mention a fait beaucoup parler et écrire sur de possibles rapports entre l'alchimie et les mystères du Razès. Geneviève Dubois, par exemple, dans son "Fulcanelli dévoilé" (2) renforce cette croyance en une note de bas de page malheureusement non référencée : 

"Fulcanelli s'était rendu avec son disciple Eugène Canseliet à Limoux, près de Rennes-les-Bains. Il y a dans cette ville une cathédrale Notre-Dame de Marceille qui abrite une très belle vierge noire. Contrairement à l'histoire officielle, il convient de signaler que  Saint-Vincent de Paul séjourna à Limoux près de Notre Dame de Marceille et non à Marseille."

Mais à l'évidence, Fulcanelli, n'a pas  pu voir en 1922  un puits démantelé depuis des années ! Pour lire la phrase qu'il rapporte, il lui aurait fallu visiter le sanctuaire avant 1850. Nous allons essayer de le démontrer...

Qu'en est-il donc de ce puits mystérieux et de ses très étranges visiteurs ?


L'histoire du sanctuaire de Notre Dame de Marceille, comme celle de bien des sites prestigieux de France, a ses écrivains attitrés et reconnus pour leur sérieux, ici ce rôle est tenu par Joseph-Théodore Lasserre dont l'ouvrage : "Histoire du pèlerinage de Notre-Dame de Marceille, près Limoux-sur-Aude" (3) fait référence.
 
En 1891, il écrit à propos de ce puits :

"Du coté opposé à la porte d'entrée, au pied du mur nord, on peut remarquer une pierre qui forme l'ouverture d'un puits profond dont l'eau abondante jaillit, au moyen d'une pompe, dans la demeure des chapelains. Jadis, on lisait sur la margelle cette inscription : 

"Hic putéus, fons signatus; parit unda salutem. Aeger, junge fidem : sic bibe, sanus erit."

On le voit aucune date précise de démolition du puits n'est donnée, on sait seulement qu'en 1891 une pierre en marque l'ouverture et qu'il n'existe plus aucune inscription. Mais on se rend compte également que le texte de l'inscription donné par Lasserre ne correspond pas avec celui indiqué par Fulcanelli !

Le mystère s'épaissit !


Tentons une chronologie :




En 1835 :
Dans "La France pittoresque" de M. Abel Hugo, le frère du grand Victor, page 198, nous sont décrits l'église et son puits avec la phrase de Fulcanelli : « Omnis qui bibit hanc aquam, si fidem addit, salvus erit. ».
Notons l'appellation de Notre-Dame de Limoux.







En 1837 :
Dans son récit « A summer in the Pyrenees » James Erskine Murray, un anglais, décrit ce même puits de Notre Dame de Marceille et relève son inscription :
« Omnis qui bibit hanc aquam, si fidem addit, salvus erit. » page 17 de son ouvrage.

Mais je dois bien l'admettre ces deux derniers écrivains ont très bien pu s'inspirer d'une source antérieure n'étant ni l'un ni l'autre audois de près ou de très loin pour Murray. La bibliographie donnée en référence de son article par A. Hugo étant la suivante, il conviendrait donc d'y chercher une autre origine à la description.







En 1859, dans la « Notice sur le pèlerinage de Notre Dame de Marceille près de Limoux » chez Labau de Carcassonne.
Il est dit qu’existait autrefois un puits entouré de quatre grandes plaques de marbre rouge et qui portait l’inscription :
Hic puteus fons signatus. Parit unda salutem, aeger junge fidem, sic bide, sanus éris. »



Puits07




En 1875, dans son ouvrage "Lectures variées sur le département de l'Aude"  (4)  Auguste Ditandy, homme sérieux s'il en fut, décrit le sanctuaire et ne manque pas de parler du puits intérieur  pourtant détruit en 1855 selon le texte ci-dessus !







Nous avons bien noté qu'il écrit "est un puits". Il note lui aussi la fameuse inscription qui est  : "Hic putéus, fons signatus; parit unda salutem. Aeger, junge fidem : sic bibe, sanus erit." !  Cette inscription est conforme à celle que donne Lasserre.

En 1876, la mensuel américain "The catholic World" (5) publiait dans son n°23 plusieurs pages consacrées à la vallée de l'Aude. Voici sa page 652. On relèvera une faute d'orthographe transformant le sanus en sarnus et tendant à nous prouver que le texte est recopié d'un document antérieur. Mais l'inscription reste la même.



 

 




En novembre 1890, Louis Fédié page 204 du tome VI des "Mémoires de la Société des arts et des sciences de Carcassonne" dans un article consacré à l'église de Marceille près LImoux, écrit :







Si son latin est approximatif lui aussi, on conçoit cependant assez mal qu'il ait pu décrire un puits n'existant plus, ce que n'auraient pas manqué de lui signaler ses collègues et autres lecteurs !





Que conclure de tout cela ?


Il semblerait qu'avant 1849-50 exista une première inscription sur la margelle du puits qui allait être détruit. Conformément à une certaine tradition cette inscription était celle qui était portée sur les sources et bains sacrés et elle était en latin "Is qui bibit hanc aquam, si fidem addit, salvus érit".

On le voit l'inscription relevée par M. Labouisse-Rochefort :  "Omnis qui bibit hanc aquam, si fidem addit, salvus erit." est  excessivement proche de ce proverbe original.

Tous ceux qui lurent après la date présumée de démolition du puits une inscription sur sa margelle semblent par contre avoir relevé une toute autre phrase au sens voisin : "Hic putéus, fons signatus; parit unda salutem. Aeger, junge fidem : sic bibe, sanus erit."


Notes et sources :

(1) "Le Mystère des Cathédrales et l’interprétation ésotérique des symboles hermétiques du Grand-Œuvre." Paris, Jean Schemit, 1926. Dernière réédition : Société nouvelle des Éditions Pauvert, Paris, 2002.pages 98-99

(2) "Fulcanelli dévoilé" Geneviève Dubois - Dervy livres 1992. Voir page 85.

(3) " Histoire du pélerinage de Notre-Dame de Marceille, près Limoux-sur-Aude"  Joseph-Théodore Lasserre - Éditeur impr. J.-M. Talamas, 1891- 98 pages

(4) "Lectures variées sur le département de l'Aude" d' Auguste Ditandy, Éditeur Impr. de Pomiès, 1875 puis Lacour Nîmes 1999
(5) New-York . The catholic publication house- Warren street - Visible ici : http://www.archive.org/stream/catholicworld23pauluoft#page/n3/mode/2up




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