Les marchands du Temple



Claude de Rebé, Archevêque de Narbonne de 1628 à 1659






Il nous semble paradoxal aujourd'hui de constater que des hommes d'église, de hauts prélats aient pu autrefois associer à une profonde piété un goût immodéré du pouvoir, une impressionnante accumulation de biens matériels. Pourtant, même après la profonde réforme du concile de Trente, on se disputait toujours en France et au plus haut niveau de la hiérarchie catholique, privilèges et bénéfices, prébendes et sinécures. 
Ainsi, la succession de Monseigneur Claude de Rébé (1587-1659), archevêque de Narbonne  donna-t-elle lieu à de très sombres marchandages. 


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Au XVIIéme siècle, l'archevêché de Narbonne était considérable pour plusieurs raisons dont sa primatie (1) sur la Gaule narbonnaise, l'autorité et le droit de Présidence qu'il donnait à son archevêque lors des États du Languedoc, et enfin, et surtout par l'immensité des revenus qu'il procurait (2). Autant de raisons qui poussèrent les très ambitieux frères Fouquet à avancer avec détermination leurs prétentions sur Narbonne.

François Fouquet (Paris 1611-Alençon 1673), l'aîné de la fratrie des Fouquet (dont le plus illustre représentant reste Nicolas Fouquet, le très célèbre surintendant des finances) s'est destiné à la "carrière" ecclésiastique et "carrière" n'est pas ici vain mot.
Nommé évêque de Bayonne en 1637, sacré en 1639, il est pourtant d'une réelle et très profonde piété, très proche des dévots et de Saint Vincent de Paul, il sera aussi un des hommes de terrain de la compagnie du Saint Sacrement. Mais Bayonne ne rapporte que 12 000 livres !
Cependant deux ans après François devint abbé de Saint-Sever, ce qui augmenta sensiblement l'importance de ses premiers bénéfices. Deux ans encore et le voilà évêque d'Agde qui cote 30 000 livres de rapport. En très peu de temps on le voit donc plus que doubler ses revenus.

Mais cette ascension rapide et si conforme à la devise familiale ne peut suffire à Nicolas Fouquet qui a de plus hautes ambitions pour son aîné mais aussi pour le petit Louis Fouquet (1633-1702) abbé de Saint-Martin d'Autun, du Jard, de Ham, de Sorèze et de Vézelay. Excusez du peu !
Cette haute ambition se porte sur l'archevêché de Narbonne pour plusieurs raisons. Et elles sont autres qu'uniquement financières car placer un de ses frères à Narbonne signifie aussi s'assurer un poids d'influence non négligeable aux États du Languedoc, au sein du haut clergé de France et enfin sur le Roi et son entourage.

Cet archevêché se révèle une cible potentielle plus réaliste qu'une autre pour la bonne raison que Monseigneur de Rebé (1587-1659) qui l'occupe depuis 1622 prend de l'âge et déjà depuis 1656 ne préside plus les États du Languedoc. En outre, François le connaît fort bien pour l'avoir côtoyé à maintes reprises au sein de la compagnie du Saint Sacrement. Mais est-ce assez ?


François Fouquet,
Archevêque de Narbonne de 1659 à 1673




Monseigneur Claude de Rebé a deux frères qu'il pourrait prétendre placer à sa succession et l'homme par sa fidélité au roi n'est pas sans influence. De ces deux frères, seul François, chanoine et comte de Lyon, chantre et archidiacre pourrait oser prétendre à sa succession narbonnaise, mais il n' a jamais été à la tête du moindre évêché. Aussi la partie sera-t-elle serrée, et Nicolas Fouquet plus âpre encore que François va-t-il user de tout son ascendant à la cour mais aussi dans le Razès.





Peu disponible, incapable de se déplacer dans le Sud-Ouest en dehors des affaires et voyages du Roi, Nicolas Fouquet cherche un négociateur local. Cet agent d'influence sera un nommé Dupuis, homme d'affaires avisé nous disent MM. Charles Hugues Lefebvre de Saint-Marc et Antoine de La Chassaigne dans leur " Vie de Monsieur Pavillon, évêque d'Alet " écrite d'après les mémoires de l'abbé L.P. Duvaucel en 1738. Le Dupuis en question vient de s'installer au Moulin de Brasse à deux pas de Cournanel en berge d'Aude. On sait que l'homme jouit d'une grande influence auprès des De Rebé car il réussit à constituer par sa seule volonté une chapelle dévouée à son unique présence alors même que Nicolas Pavillon, évêque d'Alet dont dépend Cournanel s'y opposait avec la plus grande fermeté, désirant fermer toutes les chapelles privées.

Philibert de Rebé, frère de l'archevêque de Narbonne eut pour fils unique Claude de Rebé qui fut marquis d'Arques
(3). L'opposition ferme de Nicolas Pavillon aux de Rebé d'Arques à propos de leurs diverses exactions et injustices (Ils voulurent imposer une taxe de " joyeux avènement " lors de leur arrivée) lui valut la vindicte de Monseigneur de Rebé, le grand oncle. Ce dernier ne se fit donc pas prier pour soutenir contre Pavillon le sieur Dupuis. Cet épisode plaçait M. Dupuis en position de force et en opposant victorieux de l'intraitable Pavillon (pour un temps assez bref car un revers du destin le fit complètement changer de camp). 


Nicolas Fouquet.





Aussi Nicolas Fouquet dont les agents informateurs recoupaient les agents de perception et autres indicateurs sut que l'influent Dupuis pouvait infléchir la décision de l'archevêque de Narbonne en faveur de son frère François Fouquet. Il convenait de tranquilliser le nouveau seigneur d'Arques, seul héritier potentiel de ce même archevêque sur sa future succession et aussi d'assurer à François de Rebé qu'il ne perdrait rien en matière de bénéfices financiers dans la future transaction.





L'Archevêché de Narbonne, objet de toutes les convoitises.




Accepté comme co-adjuteur de Monseigneur de Rebé le 17 décembre 1656 avec promesse de succession, François Fouquet céda donc l'évêché d'Agde à son frère Louis qu'il plaçait ainsi à la tête d'un évêché de sa province et résigna ses droits et bénéfices sur les abbayes de Saint Sever et de Sorèze en faveur du frère de l'archevêque de Narbonne, François de Rebé.

Au terme de ces différents échanges et transactions, qu'il serait bien triste de qualifier de marchandages, François Fouquet était, à la mort de Claude de Rebé, le 17 mars 1659, le nouvel archevêque de Narbonne, ses différents revenus furent alors estimés à 160 000 livres annuels. Il avait multiplié par 10 au moins ses revenus depuis ses premières fonctions à Bayonne et acquis un position et un prestige immense.




Moins de deux ans plus tard, la disgrâce de son frère le surintendant devait malheureusement entraîner celle de toute la famille Fouquet et l'exil de l'archevêque de Narbonne à Alençon.

Exil qui lui permit malgré tout de continuer à prodiguer à son archevêché de Narbonne toute la générosité dont il savait se montrer capable (il fonda hospices et instituts religieux) tout en continuant à vivre dans le plus grand luxe ! (4)
Car tel était le paradoxe des hommes d'église de ces temps, dévôts et charitables, mais cumulant les propriétés et se complaisant dans l'aisance matérielle. Seul un très petit nombre d'entre eux, dérangeants à l'instar d'un Nicolas Pavillon, avaient abandonné toute prétention matérielle au seul " bénéfice " de leur foi.

Christian Attard,
Décembre 2010.




Notes et sources :

(1) Il passe avant tous les autres évêques et archevêques d'une région donc sur, Agde, Alais (créé en 1694), Alet, Béziers, Carcassonne, Lodève, Montpellier, Nîmes, Perpignan, St Pons, Uzes. 

(2) Un bénéfice ecclésiastique est un ensemble de biens destinés à financer un office ecclésiastique. 

(3) Achetée en 1646 à la dernière héritière des Joyeuse, Henriette Catherine, duchesse de Guise, la baronnie de Couiza et la seigneurie d'Arques donnait aussi droit de prendre place aux États de Languedoc.

(4) Louis Duval : "Un frère de Nicolas Foucquet, François, archevêque de Narbonne, exilé à Alençon" Henri Delesque, Caen, 1894





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